Au cours de mes voyages j’ai rencontré un nombre formidable de gens. Avec certains j’ai même parcouru un long chemin. Parmi eux, j’ai fait une étonnante connaissance. Une femme solitaire, voyageant au grès de ses envies dans le monde. Un soir, alors que nous partagions un campement, elle me confia son histoire. Je m’empresse de la noter dans ce carnet, car elle mérite une attention toute particulière. Peut être plus tard sera-t-elle une épopée que l’on racontera autour du feu. Voici donc l’histoire de Shandra, femme guerrière et ménestrelle.
Shandra est née dans un petit village montagnard. Ses tous premiers souvenirs sont des cris d’agonie et des pleurs. Son village fut détruit par une horde de monstres et ses parents sauvagement tués. Elle fut recueillie par un nain qui l’éleva comme sa propre fille. Elle a donc grandit dans un groupe de mercenaires, ses premiers compagnons de jeux furent des guerriers endurcis et sa première poupée fut remplacée par une épée en bois. Elle devint forte et agile, mais pas assez pour porter une hache de bataille. Elle décida donc de gagner autrement le respect de son père (je crois que cette question est capitale pour elle, même si cela reste des mots couverts) et parti sur les route pour forger son propre destin.
Bien que ne connaissant pas son âge, Shandra pense avoir vers les vingt printemps. Elle a passé quelques temps en compagnie d’un orc barde nommé « Groargh ? » qui lui appris les rudiments de la musique de sa race. (Elle m’a très peu parlé de ce passage de sa vie, mais il semblerait qu’ils aient passé un marché, elle ne le tuait pas, et en échange, il lui apprenait la musique.) Elle s’est donc affublée du titre de « ménestrelle » et parcours le monde pour parfaire son « art ». (Et grands dieux ! Combien de fois mes pauvres oreilles l’ont regretté !)
Comme je l’ai déjà dis plus haut, gagner le respect de son père nain semble être la motivation primordiale de Shandra. Pour cela, elle est prête a tout, même à des actes inconsidérés. Je l’ai vu attaquer des camps de monstres, seulement armée d’un couteau, provoquer volontairement des bagarres dans des tavernes (en particulier avec des elfes), boire plus que raison pour prouver qu’elle en est capable. Et à ce jeux, je n’ai jamais vu d’humain plus doué, Shandra, sans être vraiment alcoolique, supporte mieux l’alcool que n’importe quel humain normalement constitué, ce qui souvent ne plait pas aux hommes. Elle n’a peur de rien, et semble jouer avec tout. Elle m’a souvent conté ses aventure avec un compagnon nommé « Urvan Forgefeu », un guerrier nain rencontré sur le chemin. A l’entendre ils ont massacrés nombres de monstres ensembles et bus plus de bière que notre bonne terre peut en produire.
Pour elle, c’est ça d’être un guerrier. (A ce propos je me permets une note. J’ai un doute quand à la nature exacte de son véritable métier. Légère, fine, et portant des armes courtes, elle n’a rien des guerrières du Nord, ni des amazones du Sud, et combien de fois je l’ai aperçue rodant dans les bas quartiers des villes…Je l’imagine très bien en tueur a gage froid et efficace. Cependant je n’ose aborder ce sujet avec elle de peur de la froisser et de déclencher sa colère…chose magnifique tant qu’elle n’est pas dirigée contre vous !)
Je crois que j’ai tout inscrit sur elle. Elle reste assez discrète sur la plupart de sa vie, et c’est un grand honneur qu’elle m’a fait de me conter ces quelques choses. Ah si ! J’oubliais ceci : une fois je lui ai demandé si elle n’avait jamais aimé un homme et voulu fonder un foyer. Elle m’a tout bonnement ri au nez en me disant qu’elle ne serait jamais une « gentille femme aimante » comme le veut la tradition, et pourquoi aurait-elle besoin d’un homme ? Cependant, la même nuit je me suis réveillé. Je l’ai aperçue à la lueur du feu regardant les étoiles. Son visage était si triste…je crois même avoir entrevu une larme au coin de son œil. Que s’est-il donc passé dans ta vie mon amie pour que tu sois si lointaine et que tu haïsses autant les hommes de ce monde ? Sans doute personne ne le sera jamais. Nous nous sommes séparés depuis quelques temps. Shandra devait rejoindre un ami (nain) dans une guilde. Je pense que ses talents y seront appréciés. Je viens de finir mon « satané petit cahier » comme elle disait. Je repense affectueusement à nos disputes quand à l’utilité des livres et de l’écriture. Toi Shandra, femme de caractère, presque naine, j’espère que nos routes se recroiseront a nouveau.
Alfred Albilus, poète des routes
«Récits de ce monde. Carnet 18 ».