Le prêtre prit une longue gorgée de bière et alluma une pipe de facture naine. Son visage mêlant dureté et jovialité était illuminé par le feu brulant dans l'âtre de la cheminée. Son crâne avait été rasé depuis longtemps et ses cheveux ainsi qu'une barbe poivre et sel repoussaient inexorablement. Assis là, il restait impressionnant. Non pas qu'il avait la stature d'un géant, car il n'était en réalité que d'une taille moyenne, mais ses épaules étaient aussi larges qu'un vénérable tronc d'arbre. Et son regard était habité d'une force tranquille, empreint de confiance en soi que seule une foi aveugle en son Dieu peut faire éprouver.
C'est d'une voix profonde qu'il débuta son récit:
"Mon nom est Kaspar von Ockholm, l'ami. Je suis né dans la province du Nordland, d'un père bucheron et d'une mère au foyer. J'ai une sœur plus jeune de trois ans qui s'appelle Sigrid. On vivait dans une masure proche du village d'Ockholm, dans la forêt. Mon enfance a été simple, j'aidais mon père dans son travail et on vendait notre bois à Salzenmund quand le baron Justus Wittig n'en avait pas besoin. On vivait chichement mais on avait de quoi remplir nos ventres. C'était une vie rude, à la façon du Nord.
Mais j'avais envie de voir autre chose que ce lopin de terre bourbeux et ces cul-terreux de paysans - pardonnes moi, Sigmar - alors vers la fin de mon adolescence, j'ai décidé de quitter ma famille sans me soucier de l'avenir. J'ai pris quelques affaires et suis allé m'installer à Salzenmund, croyant que le monde s'offrait à moi. J'ai vite déchanté. Je passais autant de temps dans les tavernes miteuses à me battre contre les étrangers qui venaient de lointaines contrées pour commercer, qu'à la scierie de la cité où je débitais le bois à coups de hache rageurs et déterminés, et tout ça pour une misère.
Souvent, un arrogant de passage dans un de ces boui-boui, qui avait enchainé un peu trop de godets et qui oubliait où il était, disait une ânerie dans ce genre là:
- Vous les Nordlanders, vous êtes un quart impérial, un quart Norse et la dernière moitié enfanté d'une putain au sang mêlé !
Et les autres riaient aux éclats. Il ne fallait rien de plus pour que je lui saute à la gorge comme un chien enragé, ivre de haine et surtout de bière naine. C'est sûr que les poètes du Reikland poudrés comme des tantoches - excuses-moi Sigmar - sont pas très bien vus dans le nord. Alors quand ils ouvrent leur clapet à merde, on peut pas s'empêcher de le leur rabattre. C'est le passé tout ça, maintenant je suis plus calme, t'en fais pas ! Et puis je les aime bien maintenant les Reiklanders, y sont les fils de Sigmar, eux aussi.
Quoiqu'il en soit, tous les soirs je me battais. Jusqu'à ce qu'une nuit je me réveille à moitié mort dans une ruelle. Une bande de soiffards aussi lâches que des snotlings vint me donner quelques coups pour m'achever et me détrousser du peu qui me restait, mais je fus sauvé par une voix que je n'oublierais jamais.
- Au nom de Sigmar et à la mémoire de vos pères, laissez cet homme ! clama t-elle. Infidèles, repentez-vous ou subissez la colère de votre Dieu...
Un homme de haute taille et aux épaules aussi larges que les miennes se tenait à quelques mètres de moi. A la vue de l'énorme marteau qu'il tenait sur son épaule et à son crâne rasé, les bougres déguerpirent sur le champ. Il m'emmena tant bien que mal, pansa mes blessures et s'occupa de moi.
Il se nommait Josef, c'était un prêtre-guerrier de Sigmar. Il fut mon instructeur et mon mentor. Il m'apprit à lire et à écrire et m'emmena dans un petit monastère sigmarite des Monts du Milieu. Là, j'ai appris l'histoire et la théologie, mais aussi le maniement du marteau de guerre. Je n'étais pas le plus doué des initiés pour ce qui était de la théorie, mais pour ce qui était du marteau, c'était une autre histoire...
- Ce n'est rien d'autre qu'une hache comme tu en maniais du temps où tu étais bucheron. Sauf que la tête écrase plus qu'elle ne tranche... disait Josef en rigolant.
Et c'est ainsi que je devins comme lui, vouant ma vie à notre Dieu Sigmar et à la protection de l'Empire et de son peuple. Ils firent de moi un autre homme. A présent, je bois moins, je suis moins vulgaire et je me bats un peu moins aussi. (Kaspar rit alors de bon cœur.)
Au bout de quelques années, on m'équipa d'une robe, d'une armure, d'un livre de prières et d'un marteau et je me retrouvais devant la porte du monastère, sous les flocons de neige. Josef était là, seul pour me faire ses adieux.
- Maintenant, va ! dit-il d'un ton sans appel. Parcours le monde et sers le peuple de ton Dieu. Sois brave, fort et honorable. Que Sigmar protège tes fesses malodorantes !
Et il claqua la porte.
Et depuis lors, je ne compte plus le nombre de fois où j'ai rasé mon crâne ! J'ai tout d'abord aidé à la reconstruction d'un village après une attaque d'homme-bêtes. J'y ai tenu un temple en attendant qu'un prêtre de l'Ordre de la Torche soit envoyé pour tenir les offices. Ça a pris un an avant que les prêtres ventrus d'Altdorf bougent leur petit doigt potelé et envoient un collègue. Et puis ensuite, j'ai aidé quelques seigneurs locaux à débarrasser leurs terres des engeances du chaos qui infestaient leurs bois et leur terres. Mais ça, ce sont d'autres histoires que je pourrais raconter, hein?
Enfin bref, j'ai erré dans le nord de l'Empire pendant plusieurs années, et puis j'ai eu envie de venir par ici et découvrir ceux qu'on dit plus raffinés que nous, les Nordlanders.
Voilà en gros l'histoire de mon humble vie, l'ami. Maintenant, portons un toast à Sigmar ! Qu'il protège nos fesses malodorantes !"
Et le prêtre partit dans un rire tonitruant, tout en reprenant une bonne lampée de bière.
(HRP: ce texte fait suite à mon introduction dans la salle commune de l'auberge, lors d'une conversation avec Alberick et Alana)